L’imitation musicale


Cherchons une règle pour apprécier en quelle manière l’imitation est praticable en musique. A cet effet, prenons des exemples de musique pittoresque, mais où il n’y a point de musique imitative; j’en emprunte deux à la partition écrite par Mendelssohn pour le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, et que tout le monde connaît. Dans l’intervalle entre le deuxième acte et le troisième, Hermia 61 cherche Lysandre et s’égare dans la forêt. La musique rend d’une façon claire et caractéristique l’inquiétude et l’agitation d’une personne cherchant en vain; sa course haletante et vagabonde semble même rendue par le rythme et par l’expression de la mélodie, augmentée d’une heureuse orchestration. Le scherzo qui sert d’intermède entre le premier acte et le second n’a pas de titre; néanmoins on n’a pas besoin de consulter le mélodrame qui suit, pour savoir que ce scherzo représente une danse de lutins; c’est, aussi bien que l’autre intermède, dont je viens de parler, un chef-d’œuvre et un modèle de musique pittoresque. Je pourrais citer encore le menuet des follets dans la Damnation de Faust de Berlioz; seulement, rien dans la musique n’indique que c’est une danse de follets; tout au plus pourrait-on voir une trace de leurs mouvements capricieux et précipités dans le presto à deux temps; le reste est une danse d’une allure modérée, d’un caractère si bien marqué 62 qu’on pourrait deviner quels mouvements des danseurs doivent y répondre. C’est qu’indépendamment de l’expression mélodique il existe un rapport direct entre le rythme et, jusqu’à un certain point, le dessin mélodique d’une part et la danse et la pantomime d’autre part. C’est sur ce rapport qu’est basé l’accompagnement musical de la danse et du jeu mimique, qu’il s’agisse d’une simple danse rustique ou d’un grand ballet de théâtre, ou même d’un opéra. «La musique, dit Noverre, est à la danse ce que les paroles sont à la musique; ce parallèle ne signifie autre chose, si ce n’est que la musique dansante est ou devrait être le poème écrit qui fixe et détermine les mouvements et l’action du danseur… C’est à la composition variée et harmonieuse de Rameau, c’est aux traits et aux conversations spirituelles qui règnent dans ses airs que la danse doit tous ses progrès [2]. Elle a été 63 réveillée, elle est sortie de la léthargie où elle était plongée, dès l’instant que ce créateur d’une musique savante, mais toujours agréable et voluptueuse, a paru sur la scène. Que n’eût-il pas fait, si l’usage de se consulter mutuellement eût régné à l’Opéra, si le poète et le maître de ballets lui avaient communiqué leurs idées, si on avait eu le soin de lui esquisser l’action de la danse, les passions qu’elle doit peindre successivement dans un sujet raisonné et les tableaux qu’elle doit rendre dans telle ou telle situation! C’est pour lors que la musique aurait porté le caractère du poème, qu’elle aurait tracé les idées du poète, qu’elle aurait été parlante et expressive, et que le danseur aurait été forcé d’en saisir les traits, de se varier et de peindre à son tour.» Une des considérations d’après lesquelles R. Wagner, dans Opéra et Drame, détermine le rôle que doit jouer l’orchestre dans le drame musical, c’est la connexité entre l’expression instrumentale et l’expression mimique.